«Fidelito», du kidnapping au «suicide»
L’écrivaine cubaine retrace le parcours du fils aîné de Fidel Castro, mort par suicide le 1er février «au pays des suicides montés de toutes pièces». Successeur naturel du Comandante, ce dernier avait fini par lui préférer son propre frère.
Le fils aîné de Fidel Castro Ruz est mort à La Havane ; d’après ce qu’ont affirmé les services de communication castristes, il s’est suicidé à 68 ans après avoir traversé une dépression aussi terrible que pernicieuse. Pas mal, l’idée de la dépression – il faut le reconnaître – ; un peu rebattue, mais pas mal. A Cuba, sous le castrisme, on ne compte plus les personnes qui se sont suicidées en se tirant une balle dans le dos ou derrière la tête – depuis Osvaldo Dorticós Torrado (le président qui n’a rien présidé du tout) jusqu’à Haydée Santamaría (gênante héroïne de la révolution), la liste est longue.
Et pourtant – j’insiste -, l’idée est bonne, parce qu’ils ont su la transformer en idéologie, à tel point qu’il y aurait plusieurs tomes à écrire sur l’histoire du suicide à Cuba. Dans son livre Mea Cuba, Guillermo Cabrera Infante y consacre un chapitre remarquable, intitulé «Entre l’histoire et le néant. Notes sur une idéologie du suicide».
C’est une vie saisissante que celle de ce petit garçon que l’on avait découvert en pyjama au côté de son père, voulant s’adresser au monde avec ses courtes phrases d’enfant ; il était encore tout jeune alors, c’était au début de la révolution. Au fil des années, Fidel Angel Castro Díaz-Balart, tiraillé entre deux clans familiaux de Cuba, a fini par prononcer bien moins de mots qu’il n’en avait balbutié d’abord, dans ses jeunes années.
Toute une vie de fils aîné privilégié n’aura certainement pas suffi à faire de lui un jeune homme heureux, et encore moins un adulte comblé. Son énorme ressemblance avec son père, poussée à l’excès – jusqu’à la barbe -, a fait de lui une sorte d’ombre pathétique, quoique sympathique aux yeux de certains :
«Tiens, voilà «Fidelito» ! disait-on, en le voyant arpenter à grands pas (avec exactement la même cadence que son père) les salons de marbre de Cuba ou de n’importe où. – C’est drôle, c’est le portrait craché de son père !»
Il se trouve que Fidelito, après le divorce de ses parents, avait été «kidnappé» – c’est le mot qu’a employé son père – par sa mère, Mirta Díaz-Balart, sœur de Rafael Díaz-Balart, une figure éminente du gouvernement de Fulgencio Batista ; c’est par lui que, dans sa jeunesse, Fidel Castro Ruz, d’abord fiancé, puis époux de Mirta, avait pu bénéficier de quelques avantages, ou comme on dit aujourd’hui, d’emplois fictifs.
Mirta, courageuse, avait emmené son fils à Miami – elle en avait tout à fait le droit, puisqu’elle était sa mère – ; et en même temps, confiante, elle avait accepté de l’envoyer à La Havane, pour qu’il puisse revoir son père. Et, à ce moment-là, c’est justement son père qui l’a kidnappé, à vie, pour le garder à ses côtés comme on garde un trophée, l’exhibant à la télévision dès qu’il en a eu la possibilité.
On imagine aisément la souffrance de la mère, mais davantage encore celle de l’enfant, obligé de se débattre face à un père despote, et loin de sa mère – il l’a retrouvée il y a quelques années seulement, elle était déjà âgée. On raconte que si, plus tard, Fidel Castro s’est tellement impliqué dans l’histoire de cet autre enfant, Elián González, c’est parce que cette histoire lui rappelait ce que lui-même avait vécu, en tant que père, quand on lui avait brièvement «pris» son fils aîné.
Fidelito a grandi ; il n’a pas eu à travailler, dès l’âge de 12 ans, dans ces effroyables écoles de campagne, comme c’était le lot de la plupart des enfants cubains ; Fidelito a fait ses études dans les meilleures écoles, avec les meilleurs professeurs ; puis, son père a décidé de l’envoyer dans l’ex-Union Soviétique, pour participer à un programme spécial en matière d’énergie nucléaire.
Enlevé, mais cette fois-ci par les Russes, l’adolescent est devenu physicien nucléaire ; il était mieux formé que son père, que son oncle, et que n’importe lequel de ses frères ou de ses cousins. Et ça, son père le savait bien.
Une épouse russe, Natasha Smirnova, trois enfants, un divorce, un nouveau mariage, avec María Victoria Barreiro : la discipline et le conventionnalisme dont faisait preuve le fils aîné en matière de sexualité pouvaient sembler exemplaires, par rapport à son père et à ses frères ; mais seulement en apparence.
Jamais un scandale, jamais une sortie de route ; je ne sais pas pourquoi : le lui a-t-on imposé, ou bien est-ce la seule chose pour laquelle il ait eu à se battre dans sa vie personnelle, toujours est-il qu’il a réussi à rester aussi discret que son oncle Ramón Castro, sans jamais cesser de jouir des privilèges auxquels il avait droit en tant que fils du Comandante, et dont il a dû bien tirer profit, comme le jour où il a été pris en photo, un bon cigare à la bouche, en compagnie de la top model Naomi Campbell et de l’héritière millionnaire Paris Hilton. De 1980 à 1992, il a dirigé le programme de la centrale nucléaire de Juraguá, jusqu’à ce qu’il faille fermer la centrale, une fois disparu le puissant effet d’entraînement soviétique.
En France, où il s’est rendu plusieurs fois (lors d’un de ces voyages, il était tout près de moi, je me trouvais dans les rangs de ceux qui protestaient contre sa venue), il logeait dans les hôtels les plus confortables ; c’est de là qu’il s’est exprimé, acceptant même que sa personne soit plus exposée qu’à l’accoutumée – comme s’il obéissait à un ordre venu de plus haut -, et bien des gens avaient alors pensé qu’il avait des chances de devenir le successeur naturel de son père. Mais son père allait en décider autrement, en nommant arbitrairement son propre frère, peut-être en raison de l’âge avancé de ce dernier, et de sa complicité criminelle.
Fidelito a alors pris ses distances, à moins qu’on ne les lui ai fait prendre définitivement. Bien plus que le sien, ce sont d’autres prénoms – ceux d’autres enfants (ses demi-frères) et même ceux de ses cousins (Alejandro et Mariela) – qui ont résonné et qui résonnent pour la succession prochaine.
Fidelito, éternel otage – otage aussi de lui-même, et de ses ambitions personnelles -, a sombré dans le silence le plus absolu.
Le 1er février, la victime d’enlèvement est devenue une victime de suicide parmi d’autres. La nouvelle de son suicide, au pays des suicides montés de toutes pièces, au pays de l’idéologie du suicide, a éveillé les soupçons, et comme on pouvait s’y attendre, les plaisanteries et les blagues les plus corrosives n’ont pas tardé à se déchaîner sur les réseaux sociaux. Il est probable que Fidelito, qui était un élément clé pour les Russes, soit redevenu à la fin de sa vie ce même objet de discorde qu’il avait incarné dans son enfance : un pur élément de litige. Autrement dit, encore le choix mafieux : lui ou eux (les demi-frères ou les cousins), pour assurer la continuité de la lignée castriste. Ainsi tiraillé, il est fort probable qu’il ait choisi de s’effacer lui-même, de quitter le chemin, d’en finir avec la vie. A moins que d’autres n’aient pris cette décision pour lui, car c’est ce qui se passe en général aux «Emirats Insulaires Shithole de la Grande Merdasse», anciennement Cuba.